jeudi 11 novembre 2010

Le corps des femmes

Le corps des femmes est hypothétique… Navigation au jugé… Approximation permanente… On peut en faire jouir une, brusquement, en lui caressant l’omoplate, en lui léchant les paupières, en la touchant au nombril… si ça ne vous ai jamais arrivé, vous n’y connaissez rien…

Sollers "Femmes"

Ecrire - Pessoa

Ecrire n'est pas une ambition que j'aie,
c'est ma manière à moi d'être seul.

( il disait Pessoa.)

Aimer les femmes

 Nous aimons les femmes à proportion qu'elles nous sont plus étrangères. Aimer les femmes est un plaisir de pédéraste. Ainsi la bestialité exclut la pédérastie.
Charles Baudelaire

Avec Juliette B, terminale A, 1985-1986

Ecrire - Perec

Je n'écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n'écris pas pour dire que je n'ai rien à dire. J'écris : j'écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j'ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps; j'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie.

Georges Perec

jeudi 4 novembre 2010

Passer la rivière # traduction

Aujourd'hui, j'ai envie que Rilke parle à travers moi. Dans le langage courant, cela s'appelle traduire. (Comme c'est mieux en allemand, nachdichten ! Tout en suivant la trace d'un poète, frayer encore la route qu'il a déjà frayée. Soit pour nach, après, mais il y a dichten, le toujours nouveau. Nachdichten, c'est refrayer la voie sur des traces que l'herbe envahit dans l'instant. Mais la traduction signifie aussi autre chose. On ne fait pas seulement passer une langue dans une autre langue (le russe par exemple), on passe aussi la rivière. Je fais passer Rilke en langue russe, tout comme il me fera passer un jour dans l'autre monde...

Marina Tsvetaïeva  

(quand Marina épouse Deleuze)

vendredi 17 septembre 2010

Introduction à la vie non fasciste - Foucault

En rendant un modeste hommage à Saint-François-de-Sales, on pourrait dire que L’Anti-Œdipe est une Introduction à la vie non-fasciste.

Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de vie quotidienne :

- libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ;

- faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale ;

- affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ;

- n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire ;

- n’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique ;

- n’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse des « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement des divers agencements. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation » ;

- ne tombez pas amoureux du pouvoir.

On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment si peu le pouvoir qu'ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoirs liés à leur propre discours. D'ou les jeux et les pièges qu'on trouve un peu partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force. Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à séduire le lecteur sans qu'il soit conscient de la manipulation, et finissent par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Œdipe sont ceux de l'humour : tant d'invitations à se laisser expulser, à prendre congé du texte en claquant la porte. Le livre se donne souvent à penser qu'il n'est qu'humour et jeux là où pourtant quelque chose d'essentiel se passe, quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous écrasent jusqu'aux formes menues qui font l'amère tyrannie de nos vies quotidiennes.

Extrait de la Préface de Michel Foucault à la traduction américaine du livre de Gilles Deleuze et Felix Guattari, L'Anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie, 1977




l'intégralité du texte est là (http://foucault.info/documents/foucault.prefaceAntiOedipe.fr.html) et en entier, c'est plus que bien aussi

lundi 13 septembre 2010

A ce sujet, j'ai jamais trouvé mieux

L'homme n'est un homme que parce qu'il devient sans cesse ce qu'il est et parce qu'il est de ce fait, sans cesse un autre,
mais il y a dans le fait d'être juif, un exposant supplémentaire d'altérité qui réside dans le fait d'échapper à toute définition
aussi l'homme juif est deux fois absent de lui-même, et en cela on pourrait dire, qu'il est l'homme par excellence, qu'il est deux fois homme, deux fois plus humain par ce pouvoir d'être absent de soi-même et d'être un autre que soi
l'antisémitisme est dans la clôture du juif (à n'être pas cet autre)

Jankélévitch (il parait)(cité par quelqu'un à la radio)(c'est précis)

samedi 11 septembre 2010

...

J'ai retrouvé dans l'eau Marie Cardona, une ancienne dactylo de mon bureau dont j'avais eu envie à l'époque. Elle aussi, je crois mais elle est partie peu après et nous n'avons pas eu le temps. Je l'ai aidée à monter sur une bouée et, dans ce mouvement, j'ai effleuré ses seins. J'étais encore dans l'eau quand elle était déjà à plat ventre sur la bouée. Elle s'est retournée vers moi. Elle avait les cheveux dans les yeux et elle riait. Je me suis hissée à côté d'elle sur la bouée. Il faisait bon et comme en plaisantant, j'ai laissé aller ma tête en arrière et je l'ai posée sur son ventre. Elle n'a rien dit et je suis restée ainsi. J'avais tout le ciel dans les yeux et il était bleu et doré. Sous ma nuque je sentais le ventre de Marie battre doucement. Nous sommes restés longtemps sur la bouée à moitié endormis. Quand le soleil est devenu trop fort, elle a plongé et je l'ai suivie.

(…)

J'ai raconté à marie l'histoire du vieux et elle a ri. Elle avait un de mes pyjamas dont elle avait retroussé les manches. Quand elle a ri, j'ai eu encore envie d'elle. Un moment après, elle m'a demandé si je l'aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire mais qu'il me semblait que non. Elle a eu l'air triste. Mais en préparant le déjeuner et à propos de rien, elle a encore ri de telle façon que je l'ai embrassée.

(...)

Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle; j'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. Pourquoi m'épouser alors? A t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui le demandait, moi, je me contentait de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai répondu « non ». elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit « naturellement ». Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les même raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi. J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment s'était. Je lui ai dit: c'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. Puis nus avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai demandé à marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un moment nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions diné ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé: « tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire? » Je voulais bien le savoir mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Alors devant mon air empêché , elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.

Albert Camus - L'étranger

jeudi 17 juin 2010

Joie

Un homme à cheval galope dans les champs. Son cheval se cabre au moment où nous passons, et le cavalier se retourne pour nous regarder. De nouveau nous entrons bruyamment dans l'obscurité. Et je renverse la tête. Et je m'abandonne à la joie; je me dis qu'au sortir du tunnel, je vais entrer dans une chambre éclairée par des lampes et me laisser tomber dans un fauteil admirée de tous, avec ma robe qui ondoie à mes pieds. Mais attention! En relevant les yeux, je rencontre le regard d'une femme aigre qui soupconne ma joie. Mon corps impertinent se referme comme un parasol. Je l'ouvre ou le ferme à volonté. La vie commence. Mon trésor de vie est encore intact.

Virginia Woolf - Les vagues

samedi 29 mai 2010

Lire

C'est qu'il y a deux manières de lire un livre: on bien on le considère comme une boite qui renvoie à un dedans, et alors on va chercher des signifiés, et puis, si l'on est encore plus pervers ou corrompu on part en quête du signifiant. Et le livre suivant, on le traitera comme une boite contenue dans la précédente ou la contenant à son tour. Et l'on commentera, l'on interprétera, on demandera des explications, on écrira le livre du livre, à l'infini.
Ou bien l'autre manière: on considère un livre comme une petite machine a-signifiante; le seul problème est: "est-ce que ça fonctionne et comment ça fonctionne?" Comment ça fonctionne pour vous? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne se passe, prenez-donc un autre livre. Cette autre lecture est une lecture en intensité : quelque chose se passe ou ne se passe pas. Il n'y a rien à expliquer, à comprendre, à interpréter. c'est du type branchement électrique, "corps sans organe", j'ai connu des gens sans culture qui ont tout de suite compris, grâce à leur habitude, grâce à leur manière de s'en faire un à eux. Cette autre manière de lire s'oppose à la précédente parce qu'elle rapporte immédiatement un livre à un dehors. Un livre c'est un petit rouage dans une machinerie beaucoup plus complexe, extérieure. Écrire, c'est un flux parmi d'autres, et qui n'a aucun privilège par apport aux autres, et qui entre dans des rapports de courants, de contre-courants, de remous avec d'autres flux, flux de merde, de sperme, de parole, d'action, d'érotisme, de monnaie, de politique... Comme Bloom, écrire sur le sable avec une main, en se masturbant de l'autre, deux flux dans quel rapport?

Gilles Deleuze, Pourparlers

Parler en son nom


L'histoire de la philosophie exerce en philosophie une fonction répressive évidente: " Tu ne vas pas quand-même pas oser parler en ton nom tant que tu n'auras pas lu ceci et cela et ceci sur ce la, et cela sur ceci". (…) Ma manière de m'en tirer à l'époque, c'était je crois bien, de concevoir l'histoire de la philosophie comme un enculage ou ce qui revient au même comme une immaculée conception. Je m'imaginais arriver dans le dos d'un auteur et et lui faire un enfant qui serait le sien et qui serait pourtant monstrueux. Que ce soit bien le sien, c'est très important, parce qu'il fallait que l'auteur dise effectivement tout ce que je lui faisais dire. Mais que l'enfant soit monstrueux c'était nécessaire aussi parce qu'il fallait passer par toute sortes de décentrements, de glissement, cassements, émissions secrètes qui m'ont fait bien plaisir. (...) C'est Nietzsches que j'ai lu plus tard qui m'a sorti de tout ça. Car c'est impossible de lui faire subir un pareil traitement. Des enfants dans le dos, c'est lui qui vous en fait. Il vous donne un goût pervers, (que ni Marx, ni Freud, n'ont jamais donné à personne au contraire): le goût pour chacun de lire des choses simples en son propre nom, de parler par affects, intensités, expériences, expérimentations. Dire quelque chose en son propre nom, c'est très curieux; car ce n'est pas du tout au moment où l'on se prend pour un moi, une personne, un sujet, qu'on parle en son nom. Au contraire, un individu acquiert un véritable nom propre, à l'issue du plus sévère exercice de dépersonnalisation, quand il s'ouvre aux multiplicités qui le traversent de part en part, aux intensités qui le parcourt. Le nom comme appréhension instantanée d'une telle multiplicité intensive, c'est l'opposé de la dépersonnalisation opérée par l'histoire de la philosophie, une dépersonnalisation d'amour pas de soumission.

Gilles (encore)


Sarabande # du sexe

Ce que je veux dire c'est qu'en m'installant ici, je m'étais littéralement retiré de la sarabande du sexe, non pas parce que mes pulsions ou mes érections auraient faibli de manière significative mais parce que je n'arrivais plus à faire face aux exigences exorbitantes du sexe, à trouver l'esprit, la force, la patience, l'illusion, l'ironie, l'ardeur, l'égoïsme, la résistance, - ou bien la solidité, l'astuce, la malhonnêteté, la dissimulation, la duplicité, le professionnalisme érotique nécessaires pour vivre ses implications déroutantes et contradictoires.

Philippe Roth. « La tâche »

samedi 15 mai 2010

La poésie, la parole

Se préoccuper de la place fondamentale de la parole dans l'expression poétique... la poésie est parole... C'est à l'intérieur même de la parole que se situe cette rupture, cette intermittence, le fait que, soit on est en rapport immédiat et plein avec les données du monde sensible, soit on se retrouve dans l'exil de la formulation, de la conceptualisation, de l'impersonnalisation et finalement de l'absence du sens de la finitude.
La parole est ce qui va vers l'être et ce qui le perd en même temps et la poésie se situe à l'intérieur de la parole pour la rappeler à l'ordre, faire entendre la mémoire fondamentale qui est en elle et travailler à ce que sa mémoire reprenne sa place dans les mots par des procédés qui sont ceux de l'écriture, mais aussi ceux de l'existence, car la poésie n'est pas seulement une affaire de mots.

Yves Bonnefoy - Un jour sur France culture