jeudi 18 décembre 2008

La situation bien en main



"Quand Sharon m'a montré le cliché, j'ai tout de suite vu qu'il me résumait parfaitement. Voilà un gars cool je me suis dit, un gars en lunettes noires et en beau costume. Il a l'air d'avoir la situation bien en main, une certaine connaissance de lui-même. La seule chose qui cloche c'est qu'il est surpis en train de manger une banane. Il m'est apparu que c'était notre dilemne à tous: au moment où nous nous sentons tout à fait cool, ce que les autres voient c'est un type la bouche plein de banane."

L. Cohen

jeudi 21 août 2008

Regards

La séduction des yeux. La plus immédiate, la plus pure. Celle qui se passe de mots, seuls les regards s’enchevêtrent dans une sorte de duel, d’enlacement immédiat à l’insu des autres, et de leurs discours : charme discret d’un orgasme immobile, et silencieux. Chute d’intensité lorsque la tension délicieuse des regards se dénoue en mots par la suite, ou en gestes amoureux. Tactilité des regards où se résume toute la substance virtuelle des corps (de leur désir ?) en un instant subtil comme un trait d’esprit – un duel voluptueux et sensuel, et désincarné à la fois – épure parfaite du vertige de la séduction et qu’aucune volupté plus charnelle n’égalera par la suite. Ces yeux-là sont accidentels mais c’est comme s’ils étaient depuis toujours posés sur vous. Dénués de sens ce ne sont pas des regards qui s’échangent. Nul désir ici. Car le désir est sans charme. Mais les yeux, eux, comme les apparences fortuites, ont du charme et ce charme est fait de signes purs, intemporels, duels et sans profondeur.

vendredi 15 août 2008

Anarchistes sociaux quasi religieux

Les premiers socialistes sionistes, ceux qui « contrairement aux socialistes européens n’ont jamais supposé que lorsque les conditions sociales changent, les gens deviennent immédiatement meilleurs, et que l’avidité, l’ambition et l’égoïsme disparaissent automatiquement. [Et qui] D’un autre côté, (…) ne se sont jamais laissé séduire par la simplification marxiste : il faut ouvrir les yeux des gens de force pour qu’ils voient la lumière. Ils croyaient que tous les hommes n’avaient pas été créés égaux mais que tous avaient également le droit d’être différents. Ils croyaient aussi à l’importance de fonder de petites cellules, sociales, volontaires, un peu comme des grandes familles, dans lesquelles les gens opéraient sur la base de la décence et de la fierté, plutôt qu’à partir de la réalisation et de la récompense matérielle. (…)  Ils n’ont jamais cru que le socialisme devait venir d’en haut, des autorités des corps d’état. Dans une certaine mesure, c’étaient des anarchistes. Je les décrirai, du moins certains des fondateurs du socialisme sioniste comme des anarchistes sociaux quasi religieux.(…) L’un deux Aaron Gordon a écrit que les deux expériences humaines, les plus satisfaisante sont la création et la responsabilité...
Amoz Oz Les deux morts de ma grand-mère

Et je renverse la tête

(... ) un homme à cheval galope dans les champs. Son cheval se cabre au moment où nous passons, et le cavalier se retourne pour nous regarder. De nouveau nous entrons bruyamment dans l'obscurité. Et je renverse la tête. Et je m'abandonne à la joie; je me dis qu'au sortir du tunnel, je vais entrer dans une chambre éclairée par des lampes et me laisser tomber dans un fauteil admirée de tous, avec ma robe qui ondoie à mes pieds. Mais attention! En relevant les yeux, je rencontre le regard d'une femme aigre qui soupçonne ma joie. Mon corps impertinent se referme comme un parasol. Je l'ouvre ou le ferme à volonté. La vie commence. Mon trésor de vie est encore intact.

Virginia Woolf - Les vagues - Jinny

samedi 8 mars 2008

Tout homme est imprévisible

Ma biographie intérieure hypothétique se trouve dans tout ce que j'ai écrit dans ma vie et je n'ai rien à y ajouter. Elle est pour moi beaucoup plus authentique que l'addition des documents et des papiers que j'ai dans mon tiroir, de mon compte en banque ou des lieux où je suis passé. L'une des erreurs du lecteur est de mélanger les deux. Non qu'il n'y ait de lien entre ces deux biographies mais il faut se méfier comme de la peste d'essayer de le fixer en formule. Ce lien est dynamique. Toute tentative pour fixer, même pour les besoins de notre conversation, le rapport entre ces deux genres de biographies nie la liberté. Tout homme est imprévisible, moi aussi.
Vous n'êtes pas la première a vouloir connaître le moteur de tout cela. Mais un individu qui ouvre toutes ses portes aux visites du public n'est plus un homme, c'est une exposition. J'ai fait de ma vie privée une affaire idéologique parce que je suis un homme, pas une exposition.

Roth? Cohen? je sais plus... peu importe...

samedi 26 janvier 2008

L'indifférence intime de mon coeur

On aura peine à me persuader que l’histoire de l’enfant prodigue ne soit pas la légende de celui qui ne voulait pas être aimé.
Malte Laurids Brigge voulait se défaire de l’habitude d’être aimé.
Il rôdait dehors toute la journée et même les chiens il ne les voulait pas avec lui, parce qu’ils l’aimaient. Parce que leurs yeux observaient et prenaient part, attendaient et s’inquiétaient ; parce que devant eux, non plus, on ne pouvait rien faire sans réjouir ou blesser. Mais ce qu’il souhaitait alors, c’était cette indifférence intime de son cœur, qui tôt le matin, dans les champs, le saisissait avec une telle pureté qu’il commençait à courir, pour n’avoir ni temps, ni haleine, pour n’être plus qu’un léger instant du matin qui prend conscience de soi. »
...« Sauf qu’après il y avait le retour. Mon dieu de quoi fallait il alors se dépouiller et combien de choses oublier. Car il fallait oublier pour de vrai, c’était nécessaire, sinon on se serait trahi lorsqu’ils insistaient. On avait beau hésiter et se retourner, le pignon de la maison apparaissait quand même, la première fenêtre là-haut vous tenait sous son regard, quelqu’un peut-être y était. Les chiens, chez qui l’attente s’était accrue toute la journée durant, traversaient les buissons et vous ramenaient à celui qu’ils croyaient reconnaître en vous.
Et la maison faisait le reste.
Il suffisait d’entrer à présent dans son odeur pleine et déjà presque tout était décidé. Des détails pouvaient être modifiés. Mais en gros, on était déjà celui pour lequel ils vous tenaient ici. Celui à qui, ils avaient déjà depuis longtemps composé une existence, faite de son petit passé et de leurs propres désirs ; cet être de communauté qui jour et nuit était placé sous la suggestion de leur amour, entre leur espoir et leur soupçon, devant leur blâme ou leur approbation.
A un tel être il ne sert à rien de monter l’escalier avec d’infinies précautions. Tous seront au salon et il suffit que la porte s’ouvre pour qu’ils regardent tous dans sa direction. Il reste dans l’obscurité, il veut attendre leurs questions. Mais alors vient le pire. Ils lui prennent la main, ils le tirent vers la table et tous autant qu’ils sont s’avancent curieusement devant la lampe.
Ils ont beau jeu, ils se tiennent à contre-jour et sur lui seul tombe avec la lumière, toute la honte d’avoir un visage. 

Maria reiner Rilke - Les carnets de Malte Laurids Brigge

(et Deleuze encore... oublier le visage - il est partout) 

vendredi 4 janvier 2008

Le square

Deux voix presque abstraites dans un lieu presque abstrait. C’est cela qui nous atteint d’abord, cette sorte d’abstraction : comme si ces deux êtres qui lient conversation dans un square – elle a vingt ans, elle est domestique; lui, plus âgé, va de marché en marché vendre des choses de peu de valeur -, n’avaient plus d’autre vérité que leur seule voix et épuisaient dans cette conversation fortuite ce qui reste de chance et de vérité, ou plus simplement de parole, à un homme vivant. Il faut qu’ils parlent, et ces paroles précautionneuses, presque cérémonieuses, sont terribles à cause de la retenue qui n’est pas seulement la politesse des existences simples, mais est faite de leur extrême vulnérabilité. La crainte de blesser et la peur d’être blessé sont dans les paroles mêmes. Elles se touchent, elles se retirent au moindre contact un peu vif; elles sont encore vivantes assurément. […] Là, dans le monde simple du besoin et de la nécessité, les paroles sont vouées à l’essentiel, attirées uniquement par l’essentiel, et monotones, par conséquent, mais aussi trop attentives à ce qu’il faut en dire pour ne pas évier les formulations brutales qui mettraient fin à tout.

Maurice Blanchot, Le Livre à venir, 1959

On ne peut pas demander au désert

On ne peut pas demander au désert d’incarner une liberté qu’on a pas d’abord soi-même organisé dans sa chambre à coucher ou dans son salon. » 

Jim Harisson Dalva

Je vais faire un tour

 Vous ne pouvez pas faire dire à un personnage : je suis triste. Il faut lui faire dire : je vais faire un tour.


Bernard Marie Koltès (Dans un petit livre sur le théâtre ou quelque chose comme ça)

Seulement l'instant


On jouit vite plutôt mal que bien. On enrage d’avoir joui parce que la jouissance ne se laisse ni arrêter ni saisir ; on s’en veut ; on construit des positions de défense par rapport à ça ; on efface les traces… Plaisir d’amour ne dure qu’un moment… Haine d’amour dure toute la vie… Il leur faut l’obstacle, l’impossible, la souffrance, la catastrophe, le châtiment, le ressentiment… Réprobation de l’instant et de sa substance, voilà… Et pour moi au contraire, l’instant, seulement l’instant, l’instant et sa lettre de feu, corps, couleurs, paysages… le Carnet rouge, simples annales de l’instant…. Entailles, incision de la chance vécue, sans détours…

Philippe Sollers - Coeur absolu