mercredi 28 janvier 2009

Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte.

Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C'était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu'elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n'en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d'alcool, parfois un peu d'argent. Bien que je n'aie eu accès à ses contes que par le biais de la traduction – la langue embera comprend une version littéraire beaucoup plus complexe que la langue de chaque jour – j'ai tout de suite compris qu'elle était une grande artiste, dans le meilleur sens qu'on puisse donner à ce mot. Le timbre de sa voix, le rythme de ses mains frappant ses lourds colliers de pièces d'argent sur sa poitrine, et par-dessus tout cet air de possession qui illuminait son visage et son regard, cette sorte d'emportement mesuré et cadencé, avaient un pouvoir sur tous ceux qui étaient présents. A la trame simple des mythes – l'invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d'humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l'amour charnel, l'acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle etait la poésie en action, le théâtre antique, en meme temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n'a pas d'autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c'était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l'endroit où l'art s'exprimait avec le plus de force et d'authenticité.

Jean-Marie le Clezio Conférence Nobel

mardi 20 janvier 2009

Le message d'un nouveau monde

"Son corps était pour moi une joie qui n'en finissait pas. Je n'en avais jamais assez de parcourir ce corps américain. J'étais à vrai dire un sacré cochon, je le demeurai.

Je me formais même à cette convition bien agréable et renfoçatrice qu'un pays apte à produire des corps aussi audacieux dans leur grâce et d'une envolée spirituelle aussi tentante devait offrir bien d'autres révélations capitales, au sens bilogique il s'entend.

Je décidai à force de peloter Lola d'entreprendre tôt ou tard le voyage aux Etats-Unis, comme un véritable pèlerinage, et cela dès que possible.
je n'eus en effet de cesse et de repos, à travers une vie pourtant implacablement contraire et tracassée) avant d'avoir mené à bien cette profonde aventure mystiquement anatomique.

Je reçus ainsi tout près du derrière de Lola, le message d'un nouveau monde."

Louis Ferdinand Céline Voyage...

lundi 5 janvier 2009

Se laisser pardonner

"Quels mots peut-on trouver pour couvrir cinq ans de banissement, je crains qu'il n'y en ait pas. Ou qu'il te faille une force d'âme telle que tu ne saurais la trouver en toi.
Toujours le vieux principe: ne pas agir au-delà de sa capacité à réparer. C'est assez injuste mais ainsi Junon peut presque tout se permettre parce qu'elle peut presque tout réparer. D'autres peuvent peu, sinon se laisser pardonner
...
A tout ceci qui est mal décrit à travers le prisme un peu bête de ma solitude, il n'y a pas de mot qu'on puisse ajouter, quel mot pourrais-tu désormais écrire qui performe une douceur sans mièvrerie après une telle curée? La voix peut performer bien plus, je le jure dit-on au tribunal, ce dernier paragraphe confus pour te dire que j'ai bien conscience que ce courrier n'appelle pas de réponse, tu n'en trouverais pas les mots et de cela je ne t'en veux pas.
Simplement je te regarde aujourd'hui avec une pitié fraternelle. Tu es comme une petite fille devant un vase cassée et ce n'est pas ta faute, ni celle du vase, c'était un jeu idiot qui a mal tourné."

Henry
Conte de Noël - Le lettre, Arnaud Desplechin

dimanche 4 janvier 2009

Une, deux, trois

« Mais qu’ai-je fait de ma vie ? se demanda Mrs. Ramsay en prenant sa place à une extrémité de la table et en regardant les cercles blancs que faisaient toutes les assiettes. « William, dit-elle, mettez-vous à côté de moi. - Lily, ajouta-t-elle avec lassitude, mettez-vous là-bas. » Ils avaient cela - Paul Rayley et Minta Doyle - et elle ceci seulement - une table d’une longueur infinie avec des assiettes et des couteaux. À l’autre bout se trouvait son mari, tout affaissé et fronçant les sourcils. Pourquoi ? Elle n’en savait rien. Peu lui importait. Elle ne pouvait comprendre comment elle avait pu avoir la moindre émotion, la moindre affection à son égard. Elle avait le sentiment d’avoir tout dépassé, d’avoir tout connu, d’avoir tout épuisé et, pendant qu’elle servait la soupe, il lui semblait voir un tourbillon – là – dans lequel ou au dehors duquel il fallait se trouver. Quant à elle, elle en était sortie. Tout ça, c’est fini, se disait-elle, pendant que les gens faisaient leur entrée, les uns après les autres, Charles Tansley - « Asseyez-vous là, voulez-vous ? » dit-elle - Augustus Carmichaël - et qu’ils prenaient leur place. Et tout ce temps-là elle attendait passivement que quelqu’un lui répondît, que quelque chose arrivât. Mais ce n’est pas quelque chose, songea-t-elle en servant la soupe, qu’on puisse dire.
Elle leva les sourcils en constatant à quel point cela allait mal ensemble, ce à quoi elle songeait d’une part, et ce qu’elle faisait d’autre part - servir la soupe - et elle se sentait, avec une force grandissante, en dehors du tourbillon; ou encore, elle avait l’impression qu’une ombre était tombée et que, dans cette absence de couleur, elle voyait les choses sous leur vrai jour. La pièce (elle promenait son regard autour d’elle) était dans un état misérable. Il n’y avait nulle part de beauté. Elle s’abstenait de regarder Mr. Tansley. Rien ne semblait s’être fondu. Chacun avait l’air séparé de son voisin. Et c’était à elle qu’incombait l’effort de fusion, de mise en train, de création. Elle sentit à nouveau, sans hostilité - simple fait - la stérilité des hommes, car si elle n’agissait pas personne ne le ferait ; aussi se donna-t-elle la petite secousse que l’on donne à une montre arrêtée, et le pouls se remit à battre au rythme familier comme la montre se remet à marcher - une, deux, trois, une, deux, trois… »

Virginia Woolf, La Promenade au phare

vendredi 2 janvier 2009

Lola du voyage

"Nous nous comprimes tout de suite mais pas complètement toutefois, parce que les élans du coeur m'étaient devenus tout à fait désagréables. Je préférais ceux du corps, tout simplement. Il faut s'en méfier énormément du coeur, on me l'avait appris et comment! à la guerre. Et je n'étais pas prêt de l'oublier. Le coeur de lola était tendre et faible et enthousiaste. Le corps était gentil très aimable et il fallait bien que je la prisse dans son ensemble;
pour lola la france demeurait une espèce d'entité chevaleresque aux contours peu définis dans l'esapce et le temps mais en ce moment dangereusement blessée et à cause de cela même très excitante Moi quand om me parlait de la france, je pensais irrésistiblement à mes tripes, alors forcément j'étais beaucoup plus réservé en ce qui concernait l'enthousiasme. Chacun sa terreur. Cependant comme elle était complaisante au sexe, je l'écoutais sans jamais la contredire. Mais question d'âme, je ne la conten tis guère. C'est tout vibrant, tout rayonnant, qu'elle m'aurait voulu et moi, de mon côté, je ne concevais pas du tout pourquoi j'aurais été dans cet état-là sublime, je voyais au contraire mille raisons, toutes irréfutables, pour demeurer d'humeur exactement contraire
lola après tout ne faisait qe divaguer de bonheur et d'optimisme comme tous les gens qui sont du bon côté de la vie, celui des privilèges de la santé, de la sécurit et qui en ont encore pour longtemps à vivre. Elle me tracassait avec les choses de l'âme, elle en avait plein la bouche l'âme c'est la vanité et le plaisir du cops tant qu'il est bien portant mais c'est aussi l'envie d'en sortir dès qu'il est malade ou que les choses tournent mal. On prend des deux poses celle qui vous sert le plus agréablement dans le momentet voilà tout!tant qu'on peut choisir entre les deux ça va. Mais moi, je ne pouvais plus chosir mon jeu étaig fait. J'étais dans la vérit » jusqu'au trognon.j'avais bien du mal à penser à autre chose qu'à mon destin d'assasiné en sursis que tout le monde d'ailleurs trouvait pour moi, tout à fait normal."

L-F Céline, Voyage au bout de la nuit,