mardi 24 novembre 2009

Ethos # wikipedia

L’èthos (du grec ancien ἦθος / ễthos, pluriel ἤθη / ếthê) est un mot grec qui signifie le caractère, l’état d’âme, la disposition psychique.
Il s’écrit èthos (où « è » est la transcription de la lettre grecque êta), et ne doit pas être confondu avec le mot éthos (du grec ancien ἔθος / éthos, où « é » est la transcription d’epsilon) qui signifie la coutume, l’habitude.

Par exemple, la joie, le courage, la mollesse sont des èthè. Les èthè sont souvent considérés du point de vue moral.

Pour l’art rhétorique, l’èthos correspond à l'image que le locuteur donne de lui-même à travers son discours. Il s’agit essentiellement pour lui d’établir sa crédibilité par la mise en scène de qualités morales comme la bienveillance et la magnanimité. Par extension, tout acte (discursif ou non) qui contribue à rendre manifeste un tempérament ou des traits de caractère participe de l’èthos.

Pour les Grecs, les « arts » (μιμητικαὶ τέχναι / mimêtikaì tékhnai), comme la musique, la danse, les arts visuels, la tragédie ou la comédie imitent tous des èthè. C'est ce qu'explique Aristote dans la Poétique et dans la Politique, livre VIII.


L’èthos représente le style que doit prendre l’orateur pour capter l’attention et gagner la confiance de l’auditoire, pour se rendre crédible et sympathique. Il s'adresse à l'imagination de l'interlocuteur. Aristote définit le bon sens, la vertu et la bienveillance comme étant les éléments faciltant la confiance en l’orateur. On pourra y ajouter la franchise et la droiture. Tandis que le logos représente la logique, le raisonnement et le mode de construction de l’argumentation. Il s’adresse à l’esprit rationnel de l’interlocuteur et le pathos s’adresse à la sensibilité de l’auditoire (ses tendances, passions, désirs, sentiments, émotions...). L’orateur cherche à faire ressentir à l’auditoire des passions : la colère, l’amour, la pitié, l’émulation... De son côté, l’orateur ne doit pas se départir de son calme, de son rôle de sage. Èthos et pathos cherchent à séduire l’auditoire. Roland Barthes liait l’èthos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message.

lundi 23 novembre 2009

Mais... chanter, Rêver, rire, passer, être seul, être libre

Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce, Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ? Non, merci. Dédier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre, Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ? Avoir un ventre usé par la marche ? une peau Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ? Exécuter des tours de souplesse dorsale ?... Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, Et donneur de séné par désir de rhubarbe, Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! S'aller faire nommer pape par les conciles Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ? Non, merci ! Travailler à se construire un nom Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ? Etre terrorisé par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François ?"... Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême, Préférer faire une visite qu'un poème, Rédiger des placets, se faire présenter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, Rêver, rire, passer, être seul, être libre, Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, -ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, Ne pas être obligé d'en rien rendre à César, Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite, Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce? Un serment fait d'un peu plus près, une promesse Plus précise, un aveu qui peut se confirmer, Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer; C'est un secret qui prend la bouche pour oreille, Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, Une communion ayant un goût de fleur, Une façon d'un peu se respirer le coeur, Et d'un peu se goûter au bord des lèvres, l'âme! 

Cyrano de Bergerac Edmond Rostand Acte III, Scène 7 

dimanche 22 novembre 2009

Survoler le remords (et on dirait du deleuze)(alors que c'est Sagan)

Je ne vais pas pousser plus loin l'esprit critique qui deviendrait très vite du masochisme. Or je ne suis pas masochiste, je suis tout sauf masochiste. Je n'ai pas de sentiment de culpabilité et je ne crois pas en avoir eu jamais. De là peut-être viennent l'élan et l'exaltation qui m'ont fait traverser ma vie comme une fusée qui aurait survolé le remords, les prises de conscience, les points qu'on gagne, etc., toute formule vous mettant brusquement en face de problème qui n'ont pas existé vraiment ou plutôt qui n'existent que par vous.

Françoise Sagan - derrière l'épaule

mercredi 4 novembre 2009

Dynamique de l'écho # laboratoire internet

"Heinz kohut a rappelé comment chacun doit confronte son narcissisme à l'épreuve de la réalité. chez chacun d'entre nous, le narcissisme est en effet investi dans des figures grandioses et inaccessibles, à la fois de soi et de l'autre. Un problème important de l'adolescence est de pouvoir relativiser ces figures. Les malades du narcissisme ne sot pas des personnes qui ont un problème d'égo excessif ou insuffisant, selon une problématique purement quantitative mais un narcissisme qualitativement perturbé: ils sont prisonnier d'une idéalisation paralysante de certains aspects d'eux-mêmes ou a contraire d'une idéalisation tyrannique de certains membres de l'entourage, placés par eux sur un piédestal inaccessible. Le grand mérite du travail de kohut a été de monter que c'est souvent l'absence d'approbation et d'échos à leur attente légitime qui a fixé ces personnes dans ces situations qu'il a appelé de "soi grandiose idéalisé" ou de "transfert idéalisé", ou de "transfert idéalisant". C'est cette dynamique de l'approbation et de l'écho qui est remise en chantier sur internet... "

...

mardi 3 novembre 2009

Mendiant tout neuf

Pourtant je ne pensais pas tellement à mon avenir. (…) Je comptais simplement me laisser flotter un peu, prendre les choses heure par heure, et voir ce qui allait se passer. Lorsque j'en ai parlé à I-man, il a dit que j'étais en train de devenir un « mendiant tout neuf » et m'a lancé un sourire chaleureux. Pas de projets, pas de regrets, a-t-til déclaré. Grâce et hommage, ça suffit pou' chaque jou'. J'ai répondu ouais, mais je risquais d'avoir du mal à faire ça toute ma vie. Avoir des projets et des regrets, c'est une seconde nature chez moi.

Russell Bank Sous le règne de Bone.

samedi 5 septembre 2009

In(achèvement)

[L'absolue cruauté] ce n'est pas qu'un homme blesse l'autre ou le mutile ou le torture ou lui arrache les membres ou la tête, ou même le fasse pleurer, l'absolue cruauté est celle de l'homme qui rend l'homme inachevé, qui l'interrompt comme des points de suspension au milieu d'une phrase, qui se détourne de lui après l'avoir regardé, c'est l'homme qui fait de l'homme une erreur de regard, une erreur de jugement comme une lettre qu'on a commencé et qu'on froisse brutalement après avoir écrit la date.

Bernard Marie-Koltès
(mais je sais pas où)

dimanche 23 août 2009

J'entends, j'entends

J'entends j'entends le monde est là
Il passe des gens sur la route
Plus que mon coeur je les écoute
Le monde est mal fait mon coeur las

Faute de vaillance ou d'audace
Tout va son train rien n'a changé
On s'arrange avec le danger
L'âge vient sans que rien se passe

Au printemps de quoi rêvais-tu
On prend la main de qui l'on croise
Ah mettez les mots sur l'ardoise
Compte qui peut le temps perdu

Tous ces visages ces visages
J'en ai tant vu des malheureux
Et qu'est-ce que j'ai fait fait pour eux
Sinon gaspiller mon courage

Sinon chanter chanter chanter
Pour que l'ombre se fasse humaine
Comme un dimanche à la semaine
Et l'espoir à la vérité

J'en ai tant vu qui s'en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère

J'entends leurs pas j'entends leurs voix
Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi

Ce qu'on fait de vous hommes femmes
O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m'arrache l'âme

Les choses vont comme elles vont
De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond

Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment
J'y crois aussi moi par moments
Comme l'alouette au miroir

J'y crois parfois je vous l'avoue
A n'en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous

A vous comme les grains de sable
Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable

J'aurais tant voulu vous aider
Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu'au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez

Tout se perd et rien ne vous touche
Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir ce que dit ma bouche

Votre enfer est pourtant le mien
Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens

Quelle heure est-il quel temps fait-il
J'aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C'est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d'un trou

Louis Aragon

mardi 18 août 2009

Vivre, écrire

"Mais oui, il faut au moins aspirer à l'échec, comme dit le savant de Bernhard, parce que l'échec et seul l'échec reste l'unique certitude qu'on puisse acquérir, dis-je et ainsi moi, j'aspire à cela, si tant est que j'aspire à quelque chose, or il le faut, parce que je vis et écris, et dans les deux cas, c'est une aspiration, la vie étant une aspiration plutôt aveugle, tandis que l'écriture est une aspiration lucide, et ainsi bien sûr c'est une autre aspiration que la vie, elle aspire peut-être à voir ce que la vie aspire à atteindre, et c'est pourquoi, ne pouvant pas faire autrement, elle répète la vie de la vie, elle ressasse la vie comme si elle l'écriture était aussi la vie, alors qu'elle ne l'est pas, ce sont deux choses tout à fait différente, fondamentalement incomparable, et ainsi, si on se met à écrire, et si on se met à écrire sur la vie, l'échec est garanti."

Imre Kertèsz, Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

dimanche 26 juillet 2009

Autour de mon propre coeur

"... une femme, avec son sourire timide, sa démarche glissante, ses cheveux défaits, avec le masque archaïque de la servante aux pieds nus demande doucement et modestement qu'on la laisse entrer... (...) elle entre dans mon cœur, là, elle regarde autour d'elle avec un sourire aimable et curieux, elle touche à tout avec ses mains délicates, elle aère les coins renfermés, époussette ceci, jette cela pour y mettre ses propres affaires, elle s'y installe joliment, confortablement et irrésistiblement, jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle m'en a complètement chassé, si bien que c'est avec angoisse, comme un étranger exilé que je rôde autour de mon propre cœur, qui ne m'apparait plus que comme une lointaine porte fermée, comme aux sans-logis, les foyers chaleureux des autres."

Imre Kertèsz, Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

mercredi 22 juillet 2009

Brève invitée

Ma lande mon enfant ma bruyère
Ma réelle mon flocon mon genêt,
Je te regarde demain t’emporte
Où je ne saurais aller.
                      
Ma bleue mon avril ma filante
Ma vie s’éloigne à reculons,
A toi les oiseaux et la lampe
A toi les torches et le vent

Mon cygne mon amande ma merveille
A toi l’impossible que j’aimais
A toi la vie, sel et soleil,
A toi, brève invitée.

Les mouettes

Je te donne trois mouettes
La pulpe d’un fruit
Le goût des jardins sur les choses
 
La verte étoile d’un étang
Le rire bleu de la barque
La froide racine du roseau
 
Je te donne trois mouettes
La pulpe d’un fruit
 
De l’aube entre les doigts
De l’ombre entre les tempes
 
Je te donne trois mouettes
Et le goût de l’oubli

Andrée Chédid

samedi 18 juillet 2009

Travailler, exister

Je travaille parce que si je ne travaillais pas, j'existerais, et si j'existais, je ne sais pas à quoi ça m'obligerait, alors il vaut mieux que je ne le sache pas, bien que mes cellules et mes entrailles s'en doutent, puisque c'est pour cela que je travaille sans relâche »

Imre Kertesz Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas

Ecrire - Sollers

«Ecrire: une compétition directe avec le four matriciel... Aucune mère ne s'y trompe. pas plus celle de Sophocle qu'une autre. Toute oeuvre un peu importante est la trace de cette lutte acharnée... pour parvenir à l'air libre, naître, sortir enfin de la naissance physique; parler quand-même, par delà la parole injectée... Montrer comme ça qu'on n'est pas né pour faire nombre; qu'on ne meurt pas dans l'arithmétique dictée... Que ça se sache au moins le crime d'exister; que ça se marque et remarque... Pour un bout de temps, pour l'éternité... »

lundi 23 février 2009

Ne tombez pas amoureux du pouvoir- foucault

Pendant les années 1945-1965 (je parle de l'Europe), il y avait une certaine manière correcte de penser, un certain style du discours politique, une certaine éthique de l'intellectuel. Il fallait être à tu et à toi avec Marx, ne pas laisser ses rêves vagabonder trop loin de Freud, et traiter les systèmes de signes -le signifiant- avec le plus grand respect. Telles étaient les trois conditions qui rendaient acceptables cette singulière occupation qu'est le fait d'écrire et d'énoncer une part de vérité sur soi et son époque.
Puis vinrent cinq années brèves, passionnées, cinq années de jubilations et d'énigmes. Aux portes de notre monde le Vietnam, et évidement, et le premier grand coup porté aux pouvoirs constitués. Mais si à l'intérieur de nos murs que se passait-il exactement ? Un amalgame de politique révolutionnaire et anti-répressive ? Une guerre menée sur deux fronts -l'exploitation sociale et la répression psychique ? Une montée de la libido modulée par le conflit des classes ? C'est possible. Quoi qu'il en soit c'est par cette interprétation familière et dualiste que l'on a prétendu expliquer les événements de ces années. Le rêve qui, entre la Première Guerre mondiale et l'avènement du fascisme, avaient tenu sous son charme les fractions les plus utopistes de l'Europe – l'Allemagne de Wilhelm et la France des surréalistes- était revenu embrasser la réalité elle-même : Marx et Freud éclairés par la même incandescence.
Mais est-bien ce qui s'est passé ? Était-ce bien une reprise du projet utopique des années trente, à l'échelle, cette fois, de la pratique historique ? Ou y a-t-il eu, au contraire, un mouvement vers des luttes politiques qui ne se conformaient plus au modèle prescrit par la tradition marxiste ? Vers une expérience et une technologie du désir qui n'étaient plus freudiennes ? On a certes brandi les vieux étendards, mais le combat s'est déplacé et a gagné de nouvelle zones.
L’Anti-Œdipe montre, tout d'abord, l'étendue du terrain couvert. Mais il fait beaucoup plus. Il ne se dissipe pas dans le dénigrement des vieilles idoles, mais il s'amuse beaucoup avec Freud. Et, surtout, il nous incite à aller plus loin.
Ce serait une erreur de lire L’Anti-Œdipe comme la nouvelle référence théorique (vous savez cette fameuse théorie qu'on nous a si souvent annoncée : celle qui va tout englober, celle qui est absolument totalisante et rassurante, celle, nous assure-t-on, dont « nous avons tant besoin » en cette époque de dispersion et de spécialisation d'où l'« espoir » a disparu). Il ne fait pas chercher une « philosophie » dans cette extraordinaire profusion de notions nouvelles et de concepts surprises : L’Anti-Œdipe n'est pas un Hegel clinquant. La meilleure manière, je crois de lire L’Anti-Œdipe , est de l'aborder comme un « art », au sens ou on parle d'art érotique, par exemple. S'appuyant sur les notions en apparence abstraites de multiplicités, de flux, de dispositifs et de branchements, l'analyse du rapport du désir à la réalité et à la « machine » capitaliste apporte des réponses à des questions concrètes. Des questions qui se soucient moins du pourquoi des choses que de leur comment. Comment introduit-on le désir dans la pensée, dans le discours, dans l'action ? Comment le discours peut-il et doit-il déployer ses forces dans la sphère du politique et s'intensifier dans le processus de renversement de l'ordre établi ? Ars erotica, ars theoretica, ars politica.
D'où les trois adversaires auxquels L’Anti-Œdipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n'ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que ce livre combat par des moyens différents.
1) Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l'ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité.
2) Les pitoyables techniciens du désir, les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l'organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque.
3) Enfin, l'ennemi majeur, l'adversaire stratégique (alors que l'opposition de L’Anti-Œdipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique): le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses, mais aussi le fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.
Je dirais que L’Anti-Œdipe (puissent ses auteurs me pardonner) est un livre d'éthique, le premier livre d'éthique qu'on ait écrit en France depuis assez longtemps (c'est peut-être la raison pour laquelle son succès ne s'est pas limité à un « lectorat » particulier : être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie. Comment faire pour ne pas devenir fasciste même quand (surtout quand) on croit être un militant révolutionnaire ? Comme débarrasser nos discours et nos actes, nos coeurs et nos plaisirs du fascisme ? Comme débusquer le fascisme qui s'est incrusté dans notre comportement ? Les moralistes chrétiens cherchaient les traces de la chair qui s'étaient logées dans les replis de l'âme. Deleuze et Guattari, pour leur part, guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.
En rendant un modeste hommage à Saint-François-de-Sales, on pourrait dire que L’Anti-Œdipe est une Introduction à la vie non-fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de vie quotidienne :
- libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ;
- faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale ;
- affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune), que la pensée occidentale a si longtemps sacralisées comme forme du pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire, mais nomade ;
- n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire ;
- n’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique ;
- n’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse des « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement des divers agencements. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation » ;
- ne tombez pas amoureux du pouvoir.
On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment si peu le pouvoir qu'ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoirs liés à leur propre discours. D'ou les jeux et les pièges qu'on trouve un peu partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force. Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à séduire le lecteur sans qu'il soit conscient de la manipulation, et finissent par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Œdipe sont ceux de l'humour : tant d'invitations à se laisser expulser, à prendre congé du texte en claquant la porte. Le livre se donne souvent à penser qu'il n'est qu'humour et jeux là où pourtant quelque chose d'essentiel se passe, quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous écrasent jusqu'aux formes menues qui font l'amère tyrannie de nos vies quotidiennes.

Préface de Michel Foucault à la traduction américaine du livre de Gilles Deleuze et Felix Guattari, L'Anti-Oedipe : capitalisme et schizophrénie, 1977. In Michel Foucault, Dits et Ecrits II, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001 (1ère Edition 1994), p. 133-136.

Une âme - définition


- Excusez-moi mais les femmes c'est pas pareil que les hommes.
- C'est à dire ?
- Vous n'avez pas d'âme.
- Parce que je suis une femme ?
- Ne me regardez pas comme ca, vous avez déjà vu une femme prêtre ou une femme rabbin ? Je ne dis pas bon; vous avez certainement autre chose à la place mais enfin je me vois mal parler de mon âme avec vous.
- Un peu insultant pour les femmes non ?
- Mais non. Les hommes ça vie sur une droite et les femmes vous vivez dans des bulles. Je ne sais pas ; des petites bulles où vous devez passer de l'une à l'autre, des petites bulles où il doit y avoir des intersections pas ça doit être des petites bulles de temps j'imagine. Et nous, les hommes on vit sur une droite, une seule ligne. Nous, on vit pour mourir.
- Et les femmes elles vivent pourquoi ?
- Vous vivez quoi, nous on vit pour mourir (...)
- c'est quoi votre définition de l'âme ?
- une âme, c'est une manière de négocier au quotidien avec la question de l'être.

dimanche 8 février 2009

Mais les sentiments comme les dieux sont sauvages

"Étéocle m'a volé le trône de thèbes, nous nous faisons la guerre, c'est bien naturel. Nous nous combattons, nous nous faisons souffrir mais ainsi nous vivons plus fort, beaucoup plus fort. Il me porte des coups superbes, profonds innatendus, je fais de même. Pense à tout ce que ça représente de pensées ardentes et tendues vers l'autre, dans la joie de trouver, de vaincre ou de s'égaler.
Tu souhaites que je devienne un bon roi qui laisse ses concitoyens célébrer le culte des bons sentiments, mais les sentiments comme les dieux sont sauvages quand ils se civilisent, ils meurent et les bons rois perdent leur trône."

Henry Bauchau Antigone

mercredi 28 janvier 2009

Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte.

Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C'était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu'elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n'en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d'alcool, parfois un peu d'argent. Bien que je n'aie eu accès à ses contes que par le biais de la traduction – la langue embera comprend une version littéraire beaucoup plus complexe que la langue de chaque jour – j'ai tout de suite compris qu'elle était une grande artiste, dans le meilleur sens qu'on puisse donner à ce mot. Le timbre de sa voix, le rythme de ses mains frappant ses lourds colliers de pièces d'argent sur sa poitrine, et par-dessus tout cet air de possession qui illuminait son visage et son regard, cette sorte d'emportement mesuré et cadencé, avaient un pouvoir sur tous ceux qui étaient présents. A la trame simple des mythes – l'invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d'humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l'amour charnel, l'acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle etait la poésie en action, le théâtre antique, en meme temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n'a pas d'autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c'était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l'endroit où l'art s'exprimait avec le plus de force et d'authenticité.

Jean-Marie le Clezio Conférence Nobel

mardi 20 janvier 2009

Le message d'un nouveau monde

"Son corps était pour moi une joie qui n'en finissait pas. Je n'en avais jamais assez de parcourir ce corps américain. J'étais à vrai dire un sacré cochon, je le demeurai.

Je me formais même à cette convition bien agréable et renfoçatrice qu'un pays apte à produire des corps aussi audacieux dans leur grâce et d'une envolée spirituelle aussi tentante devait offrir bien d'autres révélations capitales, au sens bilogique il s'entend.

Je décidai à force de peloter Lola d'entreprendre tôt ou tard le voyage aux Etats-Unis, comme un véritable pèlerinage, et cela dès que possible.
je n'eus en effet de cesse et de repos, à travers une vie pourtant implacablement contraire et tracassée) avant d'avoir mené à bien cette profonde aventure mystiquement anatomique.

Je reçus ainsi tout près du derrière de Lola, le message d'un nouveau monde."

Louis Ferdinand Céline Voyage...

lundi 5 janvier 2009

Se laisser pardonner

"Quels mots peut-on trouver pour couvrir cinq ans de banissement, je crains qu'il n'y en ait pas. Ou qu'il te faille une force d'âme telle que tu ne saurais la trouver en toi.
Toujours le vieux principe: ne pas agir au-delà de sa capacité à réparer. C'est assez injuste mais ainsi Junon peut presque tout se permettre parce qu'elle peut presque tout réparer. D'autres peuvent peu, sinon se laisser pardonner
...
A tout ceci qui est mal décrit à travers le prisme un peu bête de ma solitude, il n'y a pas de mot qu'on puisse ajouter, quel mot pourrais-tu désormais écrire qui performe une douceur sans mièvrerie après une telle curée? La voix peut performer bien plus, je le jure dit-on au tribunal, ce dernier paragraphe confus pour te dire que j'ai bien conscience que ce courrier n'appelle pas de réponse, tu n'en trouverais pas les mots et de cela je ne t'en veux pas.
Simplement je te regarde aujourd'hui avec une pitié fraternelle. Tu es comme une petite fille devant un vase cassée et ce n'est pas ta faute, ni celle du vase, c'était un jeu idiot qui a mal tourné."

Henry
Conte de Noël - Le lettre, Arnaud Desplechin

dimanche 4 janvier 2009

Une, deux, trois

« Mais qu’ai-je fait de ma vie ? se demanda Mrs. Ramsay en prenant sa place à une extrémité de la table et en regardant les cercles blancs que faisaient toutes les assiettes. « William, dit-elle, mettez-vous à côté de moi. - Lily, ajouta-t-elle avec lassitude, mettez-vous là-bas. » Ils avaient cela - Paul Rayley et Minta Doyle - et elle ceci seulement - une table d’une longueur infinie avec des assiettes et des couteaux. À l’autre bout se trouvait son mari, tout affaissé et fronçant les sourcils. Pourquoi ? Elle n’en savait rien. Peu lui importait. Elle ne pouvait comprendre comment elle avait pu avoir la moindre émotion, la moindre affection à son égard. Elle avait le sentiment d’avoir tout dépassé, d’avoir tout connu, d’avoir tout épuisé et, pendant qu’elle servait la soupe, il lui semblait voir un tourbillon – là – dans lequel ou au dehors duquel il fallait se trouver. Quant à elle, elle en était sortie. Tout ça, c’est fini, se disait-elle, pendant que les gens faisaient leur entrée, les uns après les autres, Charles Tansley - « Asseyez-vous là, voulez-vous ? » dit-elle - Augustus Carmichaël - et qu’ils prenaient leur place. Et tout ce temps-là elle attendait passivement que quelqu’un lui répondît, que quelque chose arrivât. Mais ce n’est pas quelque chose, songea-t-elle en servant la soupe, qu’on puisse dire.
Elle leva les sourcils en constatant à quel point cela allait mal ensemble, ce à quoi elle songeait d’une part, et ce qu’elle faisait d’autre part - servir la soupe - et elle se sentait, avec une force grandissante, en dehors du tourbillon; ou encore, elle avait l’impression qu’une ombre était tombée et que, dans cette absence de couleur, elle voyait les choses sous leur vrai jour. La pièce (elle promenait son regard autour d’elle) était dans un état misérable. Il n’y avait nulle part de beauté. Elle s’abstenait de regarder Mr. Tansley. Rien ne semblait s’être fondu. Chacun avait l’air séparé de son voisin. Et c’était à elle qu’incombait l’effort de fusion, de mise en train, de création. Elle sentit à nouveau, sans hostilité - simple fait - la stérilité des hommes, car si elle n’agissait pas personne ne le ferait ; aussi se donna-t-elle la petite secousse que l’on donne à une montre arrêtée, et le pouls se remit à battre au rythme familier comme la montre se remet à marcher - une, deux, trois, une, deux, trois… »

Virginia Woolf, La Promenade au phare

vendredi 2 janvier 2009

Lola du voyage

"Nous nous comprimes tout de suite mais pas complètement toutefois, parce que les élans du coeur m'étaient devenus tout à fait désagréables. Je préférais ceux du corps, tout simplement. Il faut s'en méfier énormément du coeur, on me l'avait appris et comment! à la guerre. Et je n'étais pas prêt de l'oublier. Le coeur de lola était tendre et faible et enthousiaste. Le corps était gentil très aimable et il fallait bien que je la prisse dans son ensemble;
pour lola la france demeurait une espèce d'entité chevaleresque aux contours peu définis dans l'esapce et le temps mais en ce moment dangereusement blessée et à cause de cela même très excitante Moi quand om me parlait de la france, je pensais irrésistiblement à mes tripes, alors forcément j'étais beaucoup plus réservé en ce qui concernait l'enthousiasme. Chacun sa terreur. Cependant comme elle était complaisante au sexe, je l'écoutais sans jamais la contredire. Mais question d'âme, je ne la conten tis guère. C'est tout vibrant, tout rayonnant, qu'elle m'aurait voulu et moi, de mon côté, je ne concevais pas du tout pourquoi j'aurais été dans cet état-là sublime, je voyais au contraire mille raisons, toutes irréfutables, pour demeurer d'humeur exactement contraire
lola après tout ne faisait qe divaguer de bonheur et d'optimisme comme tous les gens qui sont du bon côté de la vie, celui des privilèges de la santé, de la sécurit et qui en ont encore pour longtemps à vivre. Elle me tracassait avec les choses de l'âme, elle en avait plein la bouche l'âme c'est la vanité et le plaisir du cops tant qu'il est bien portant mais c'est aussi l'envie d'en sortir dès qu'il est malade ou que les choses tournent mal. On prend des deux poses celle qui vous sert le plus agréablement dans le momentet voilà tout!tant qu'on peut choisir entre les deux ça va. Mais moi, je ne pouvais plus chosir mon jeu étaig fait. J'étais dans la vérit » jusqu'au trognon.j'avais bien du mal à penser à autre chose qu'à mon destin d'assasiné en sursis que tout le monde d'ailleurs trouvait pour moi, tout à fait normal."

L-F Céline, Voyage au bout de la nuit,