mercredi 21 novembre 2012

Avec cette jalousie, Monsieur

Je voulais une inquiétude douce, qui a sa source dans un cœur timide et bien touché et qui n'est que louable méfiance de soi-même... Avec cette jalousie-là, Monsieur, on ne dit point d'invectives aux personnes que l'on aime, on ne les trouve ni ridicules, ni fourbes, ni fantasques, on craint seulement de n'être pas toujours aimé, parce qu'on ne croit pas être toujours digne de l'être... Mais ces sentiments là ne sont pas du ressort d'une âme comme la vôtre, chez vous c'est des emportements, des fureurs, ou pur artifice, vous soupçonnez injurieusement, vous manquez d'estime, de respect, de soumission.

Marivaux La fausse suivante

vendredi 19 octobre 2012

Rouille

Le port continuait de rouiller. les entrepôts rouillaient. les tôles rouillaient. les bateaux rouillaient. la mer rouillait. Même les hommes, les quelques égarés qui continuaient de remuer la poussière des quais, on ne savait plus déjà si le soleil, le sel, l'iode, ou simplement le reflet de la rouille partout, on ne savait plus ce qui avait cramoisi leur peau. Les toits rouillaient, les parpaings rouillaient, les camions rouillaient, les rails à demi enterrés dans le sol, à demi recouverts de terre sèche, les cuves a loin recueillant autrefois le pétrole, tout rouillait. L'horizon rouillait. les grues s'élevaient sur leur socle rouillé, les cargots se tenaient sur leurs cales rouillées, et les cheminées des usines se découpaient rouillées dans le ciel. J'ai fait le bilan des derniers jours. Toutes ces années à regarder la télévision, à marchander les programmes sur un soupir, tout ça est passé bien vite en regard de ceux-ci, les derniers jours.
Tanguy Viel - Paris Brest

samedi 12 mai 2012

La traduction relève de l'amour

Le tardema-targoun-traduction est création d'altérité, de différence, à partir desquelles le monde va entrer dans la fécondité et dans l'histoire. La traduction ouvre la différence sexuelle.
Si le conte guérit de la stérilité et rend la parole aux muets c'est qu'il leur donne la possibilité de découvrir la dimension de l'altérité et de la différence. Différence et différance dont le paradygme est l'entre-deux-langues. La traduction relève de l'amour. Deux langues qui font l'amour.
Dans ses chapitre sur le conte, la traduction, la guérison, Rabbi Nahman mêle poésie et philosophie, mystique et métaphysique. Il évoque le baiser amoureux préliminaire au rapport sexuel.
L'amour des langues c'est la rencontre entre deux langages mais aussi entre deux corps. L'homophonie de la langue linguistique et de la langue du corps est identique en hébreu, les deux mots se disent lachone.

Marc-Alain Ouaknin

lundi 30 avril 2012

La folie qui est pour l'autre

Ce que j'ai compris de l'homme avec Lacan, c'est que la qualité essentielle de l'homme c'est d'être fou. Si l'homme n'est pas fou, c'est qu'il n'est rien. Le problème c'est savoir comment il soigne sa folie, hein.... Si vous n'étiez pas folle, vous comprenez, comment voulez-vous que quelqu'un soit amoureux de vous ? Pas même vous, vous comprenez ? Ce qui ne veut pas dire que si vous ne savez pas être folle, on vous met pas à l'hôpital psychiatrique, les fous qu'on met à l'hôpital psychiatrique c'est ceux qui ratent leurs folie, l'important pour l'homme, c'est de réussir sa folie, et oui quoi ! Bon Lacan parle sérieusement, il dit mieux mais en réalité c'est comme ça. Enfin, madame, si vous n'êtes pas folle, vous êtes foutue, parce que vous n'aurez aucun accès à vous-même, ni vous pourrez rien donner de vous à l'autre, à l'être que vous aimez, que tout le monde sait que l'amour est une folie, mais c'est une folie, non seulement agréable, mais qui découvre précisément... L'amour c'est pas vous mettre à poil pour découvrir votre viande c'est découvrir votre être, vous ne pouvez pas vous découvrir ailleurs que dans la folie, mais dans la folie qui est pour l'autre, si vous n'êtes pas follement amoureuse d'un idiot comme moi ou n'importe qui, vous ne saurez jamais qui est-ce que vous êtes, bon, c'est clair là ?
C'est le destin de sa folie qui est l'essence de l'homme. Si on déni sa folie, c'est foutu, c'est zéro...
 

François Toskaies à Cécile Hamsy, radio

samedi 17 mars 2012

Etre juif

Je ne sais pas précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, une marque, mais une marque qui ne me rattache à rien de précis à rien de concret : ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, à une pratique, à une culture, à un folklore, à une histoire, à un destin, à une langue. Ce serait plutôt une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude : une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, et de ne devoir la vie qu’au hasard et qu’à l’exil. 
Georges Pérec

jeudi 8 mars 2012

in-absolu

Expert en femmes mariées, il savait de plus avec une tristesse paradoxale, que celles-ci possédaietn rarement cette affinité avec l'absolu qui avaient joué des tours à l'héroïne de Tolstoï et qu'elles ne s'aventuraient dans l'adultère qu'en dosant leur abandon. 
 
JP-Enthoven