Je ne sais pas précisément ce que
c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est
une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, une
marque, mais une marque qui ne me rattache à rien de précis à rien
de concret : ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas
lié à une croyance, à une religion, à une pratique, à une
culture, à un folklore, à une histoire, à un destin, à une
langue. Ce serait plutôt une absence, une question, une mise en
question, un flottement, une inquiétude : une certitude inquiète
derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde,
insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce
que juif victime, et de ne devoir la vie qu’au hasard et qu’à
l’exil.
Georges Pérec