Ils ne m'étaient pas
inconnus ces êtres qui sont si bien convaincus de leur insuffisance,
qu'ils sont étonnés, ou meurtris, qu'on leur témoigne un sentiment
qu'ils savent au fond d'eux-mêmes ne pas mériter. Ce sentiment,
disons l'amour, atteint leur âme de plein fouet, comme une
agression, et ils en veulent à celui qui les aime, de s'abuser. Ils
ont d'abord envie de se retourner pour voir si cet amour ne s'adresse
pas à un autre. Mais non, ils sont seuls. Le doute n'est donc pas
permis et tout s'éclaire alors : cet amour s'adressait à un
autre en eux. Oui, c'est bien cela, ce sentiment était pour un autre
si intime qu'ils ont souvent voulu rejoindre et auquel ils n'ont
jamais pu ressembler. Dans ces moments-là, on ne saurait pardonner à
celui qui vous offre ce qu'il a de meilleur. N'est-il pas en train de
vous tromper avec le plus terrible des rivaux ? Avec celui qu'on
connait le mieux, et dont on sait depuis longtemps à quel point on
lui est inférieur ?
JP Enthoven - Aurore