vendredi 4 janvier 2008

Le square

Deux voix presque abstraites dans un lieu presque abstrait. C’est cela qui nous atteint d’abord, cette sorte d’abstraction : comme si ces deux êtres qui lient conversation dans un square – elle a vingt ans, elle est domestique; lui, plus âgé, va de marché en marché vendre des choses de peu de valeur -, n’avaient plus d’autre vérité que leur seule voix et épuisaient dans cette conversation fortuite ce qui reste de chance et de vérité, ou plus simplement de parole, à un homme vivant. Il faut qu’ils parlent, et ces paroles précautionneuses, presque cérémonieuses, sont terribles à cause de la retenue qui n’est pas seulement la politesse des existences simples, mais est faite de leur extrême vulnérabilité. La crainte de blesser et la peur d’être blessé sont dans les paroles mêmes. Elles se touchent, elles se retirent au moindre contact un peu vif; elles sont encore vivantes assurément. […] Là, dans le monde simple du besoin et de la nécessité, les paroles sont vouées à l’essentiel, attirées uniquement par l’essentiel, et monotones, par conséquent, mais aussi trop attentives à ce qu’il faut en dire pour ne pas évier les formulations brutales qui mettraient fin à tout.

Maurice Blanchot, Le Livre à venir, 1959

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