Deux voix presque
abstraites dans un lieu presque abstrait. C’est cela qui nous atteint d’abord,
cette sorte d’abstraction : comme si ces deux êtres qui lient conversation dans
un square – elle a vingt ans, elle est domestique; lui, plus âgé, va de marché en
marché vendre des choses de peu de valeur -, n’avaient plus d’autre vérité que
leur seule voix et épuisaient dans cette conversation fortuite ce qui reste de
chance et de vérité, ou plus simplement de parole, à un homme vivant. Il faut
qu’ils parlent, et ces paroles précautionneuses, presque cérémonieuses, sont
terribles à cause de la retenue qui n’est pas seulement la politesse des
existences simples, mais est faite de leur extrême vulnérabilité. La crainte de
blesser et la peur d’être blessé sont dans les paroles mêmes. Elles se
touchent, elles se retirent au moindre contact un peu vif; elles sont encore
vivantes assurément. […] Là, dans le monde simple du besoin et de la nécessité,
les paroles sont vouées à l’essentiel, attirées uniquement par l’essentiel, et
monotones, par conséquent, mais aussi trop attentives à ce qu’il faut en dire
pour ne pas évier les formulations brutales qui mettraient fin à tout.
Maurice Blanchot, Le Livre à venir, 1959
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