samedi 11 septembre 2010

...

J'ai retrouvé dans l'eau Marie Cardona, une ancienne dactylo de mon bureau dont j'avais eu envie à l'époque. Elle aussi, je crois mais elle est partie peu après et nous n'avons pas eu le temps. Je l'ai aidée à monter sur une bouée et, dans ce mouvement, j'ai effleuré ses seins. J'étais encore dans l'eau quand elle était déjà à plat ventre sur la bouée. Elle s'est retournée vers moi. Elle avait les cheveux dans les yeux et elle riait. Je me suis hissée à côté d'elle sur la bouée. Il faisait bon et comme en plaisantant, j'ai laissé aller ma tête en arrière et je l'ai posée sur son ventre. Elle n'a rien dit et je suis restée ainsi. J'avais tout le ciel dans les yeux et il était bleu et doré. Sous ma nuque je sentais le ventre de Marie battre doucement. Nous sommes restés longtemps sur la bouée à moitié endormis. Quand le soleil est devenu trop fort, elle a plongé et je l'ai suivie.

(…)

J'ai raconté à marie l'histoire du vieux et elle a ri. Elle avait un de mes pyjamas dont elle avait retroussé les manches. Quand elle a ri, j'ai eu encore envie d'elle. Un moment après, elle m'a demandé si je l'aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire mais qu'il me semblait que non. Elle a eu l'air triste. Mais en préparant le déjeuner et à propos de rien, elle a encore ri de telle façon que je l'ai embrassée.

(...)

Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demandé si je voulais me marier avec elle; j'ai dit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l'aimais pas. Pourquoi m'épouser alors? A t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avait aucune importance et que si elle le désirait nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui le demandait, moi, je me contentait de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J'ai répondu « non ». elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autre femme à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit « naturellement ». Elle s'est demandé alors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les même raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien à ajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi. J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dans un temps et elle m'a demandé comment s'était. Je lui ai dit: c'est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. Puis nus avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j'ai demandé à marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendant un moment nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit que nous pouvions diné ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie mais elle avait à faire. Nous étions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé: « tu ne veux pas savoir ce que j'ai à faire? » Je voulais bien le savoir mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de me reprocher. Alors devant mon air empêché , elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa bouche.

Albert Camus - L'étranger

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