samedi 29 mai 2010

Lire

C'est qu'il y a deux manières de lire un livre: on bien on le considère comme une boite qui renvoie à un dedans, et alors on va chercher des signifiés, et puis, si l'on est encore plus pervers ou corrompu on part en quête du signifiant. Et le livre suivant, on le traitera comme une boite contenue dans la précédente ou la contenant à son tour. Et l'on commentera, l'on interprétera, on demandera des explications, on écrira le livre du livre, à l'infini.
Ou bien l'autre manière: on considère un livre comme une petite machine a-signifiante; le seul problème est: "est-ce que ça fonctionne et comment ça fonctionne?" Comment ça fonctionne pour vous? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne se passe, prenez-donc un autre livre. Cette autre lecture est une lecture en intensité : quelque chose se passe ou ne se passe pas. Il n'y a rien à expliquer, à comprendre, à interpréter. c'est du type branchement électrique, "corps sans organe", j'ai connu des gens sans culture qui ont tout de suite compris, grâce à leur habitude, grâce à leur manière de s'en faire un à eux. Cette autre manière de lire s'oppose à la précédente parce qu'elle rapporte immédiatement un livre à un dehors. Un livre c'est un petit rouage dans une machinerie beaucoup plus complexe, extérieure. Écrire, c'est un flux parmi d'autres, et qui n'a aucun privilège par apport aux autres, et qui entre dans des rapports de courants, de contre-courants, de remous avec d'autres flux, flux de merde, de sperme, de parole, d'action, d'érotisme, de monnaie, de politique... Comme Bloom, écrire sur le sable avec une main, en se masturbant de l'autre, deux flux dans quel rapport?

Gilles Deleuze, Pourparlers

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