samedi 29 mai 2010

Parler en son nom


L'histoire de la philosophie exerce en philosophie une fonction répressive évidente: " Tu ne vas pas quand-même pas oser parler en ton nom tant que tu n'auras pas lu ceci et cela et ceci sur ce la, et cela sur ceci". (…) Ma manière de m'en tirer à l'époque, c'était je crois bien, de concevoir l'histoire de la philosophie comme un enculage ou ce qui revient au même comme une immaculée conception. Je m'imaginais arriver dans le dos d'un auteur et et lui faire un enfant qui serait le sien et qui serait pourtant monstrueux. Que ce soit bien le sien, c'est très important, parce qu'il fallait que l'auteur dise effectivement tout ce que je lui faisais dire. Mais que l'enfant soit monstrueux c'était nécessaire aussi parce qu'il fallait passer par toute sortes de décentrements, de glissement, cassements, émissions secrètes qui m'ont fait bien plaisir. (...) C'est Nietzsches que j'ai lu plus tard qui m'a sorti de tout ça. Car c'est impossible de lui faire subir un pareil traitement. Des enfants dans le dos, c'est lui qui vous en fait. Il vous donne un goût pervers, (que ni Marx, ni Freud, n'ont jamais donné à personne au contraire): le goût pour chacun de lire des choses simples en son propre nom, de parler par affects, intensités, expériences, expérimentations. Dire quelque chose en son propre nom, c'est très curieux; car ce n'est pas du tout au moment où l'on se prend pour un moi, une personne, un sujet, qu'on parle en son nom. Au contraire, un individu acquiert un véritable nom propre, à l'issue du plus sévère exercice de dépersonnalisation, quand il s'ouvre aux multiplicités qui le traversent de part en part, aux intensités qui le parcourt. Le nom comme appréhension instantanée d'une telle multiplicité intensive, c'est l'opposé de la dépersonnalisation opérée par l'histoire de la philosophie, une dépersonnalisation d'amour pas de soumission.

Gilles (encore)


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